Partie 5
Il se hissa sur le rocher et sortit ses jumelles. À l'horizon, une forme noire apparut. Elle était un peu en retard par rapport aux prévisions. Mais, plus elle avançait, plus il distinguait la masse imposante du navire, sa grue et le mât qui portait le pavillon russe à demi hissé sur sa rampe. Il aperçut aussi l'équipement lourd qui dépassait du bastingage. Sous les bâches, on pouvait deviner la présence de canons anti-aériens et même un de ces lanceurs à tête multiples qui faisait des ravages contre les lignes ennemies.
Quand il fut à mi-parcours, il rajusta son masque et se remit à l'eau. Le choc thermique était moins violent, mais il savait qu'il avait déjà bien entamé ses réserves.
Restant à une profondeur de 2 mètres, profitant d’une eau très translucide, il se dirigea vers l'endroit choisi. Le navire filait à 10 nœuds, luttant contre un courant qui favorisait Jacques dans son approche. L’enjeu, pour lui, était de se glisser le long de la coque et d'y fixer plusieurs petites charges explosives simulant un choc sous-marin. Il ne fallait pas qu'on soupçonne une agression externe, ce qui ne facilitait pas la tâche de Jacques. Les charges étaient équipées d'un système d'attaches magnétiques activables par pression. L'autre enjeu était de récupérer son tracteur pour s'éloigner du navire et de l'explosion, mais autant l'approche était jouable, autant le maintien contre une coque en mouvement relevait de l'exploit.
Jacques réussit parfaitement son approche. Il activa une première grosse ventouse magnétique qui lui permit de s'agripper au navire, mais la suite fut plus complexe. Les flux d'eau de mer sur la coque en mouvement l'empêchaient d'agir. Il était écartelé entre le poids de son tracteur, attaché à ses reins et qui tapait parfois bruyamment sur la coque, et la tension qui le retenait au navire. Patiemment, luttant contre ces forces adverses, il disposa une à une ses petites charges. Puis, il se hissa à nouveau vers la grosse ventouse qui l'arrimait au navire et se libéra. Ce qu'il craignait le plus, c'était le tourbillon de l'hélice. Mais il eut la chance de rejoindre son tracteur avant l'impact et s'éloigna enfin.
Glacé et épuisé, il se laissa tirer par la MURÈNE avant de reprendre pleinement ses forces. La joie de son exploit l'envahit progressivement. Elle lui rappelait le jour où il était monté sur la tribune d'honneur de la Baille pour recevoir le prix du meilleur nageur de l'école. Une distinction qui lui avait valu une promotion et un avenir qui l'avait conduit là, dans cette eau glaciale, d'où il finit par émerger.
La pointe rocheuse n'était pas loin. Une petite brise s’était levée, soulevant une houle plus régulière. Aidé par les lames courtes qui s’écrasaient sur la grève, Il se hissa avec ses dernières forces sur le méplat. Un soleil timide réchauffa son corps transi. Il n'avait plus qu'à attendre les secours promis.
Au loin, le navire russe s'éloignait lentement vers le sud et son destin funeste. Il avait réglé les charges à douze heures. Il n'assisterait pas au naufrage.
Vers 22 h, alors qu'il somnolait à moitié sur son rocher, il fut ébloui par une lampe torche puissante. Un petit zodiac gonflable s'approchait. Détaché par le sous-marin d'attaque, il venait le récupérer. Lorsque le pneumatique s'approcha en silence de son repère, il vit le second, venu lui-même accueillir le héros du jour. Il se laissa porter dans l'embarcation. Il n'avait plus beaucoup d'énergie, mais il sut que la mission était une réussite. Il rêva à Doreen sur le chemin du retour.
Retrouvez les 19 #thrillers des « batailles de l’ombre » de Claude J Siré sur #kobo et #Amazon.com dont le tome 0.1 - Tempête à l’est, gratuit sur Kobo et à tout petit prix sur Kindle